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projection(s) privée(s)
fils croisés
avec une attention de dentellière à croiser les fils penchée sur son carreau c'est comme ça qu'il faudrait s'y prendre avec les gens c'est ce que je me dis quand je vais voir ce tableau pour le silence qu'il y a autour en arrivant juste à l'ouverture il n'y a pas trop de grouillants zélés japonais portables dégainés 8 millions de pixels pour les photos vous vous rendez compte de ce qu'on fait aujourd'hui attention vous allez l’étouffer déranger sa coiffure renverser sa boîte à couture emmêler ses fils ne la touchez pas –il y a des jours comme ça où on n’est pas d’humeur mais alors pas du tout- je comprend qu'on vole des tableaux -oh une nuit avec elle doux rêve folie folie- & la ramener sage au matin mais grand risque de garde à vue océan de casquettes bleues et mauvaise ambiance assurée j’hésite un peu
(sur la Dentellière de Veermer au Louvre)
fantastique chevauchée
galopant essoufflée épuisée -oh oui épuisée- et courant encore tant que vivante talonnée par on ne sait quoi mais si le temps bien sûr et le diable/ses frères à mes trousses subite accélération pas question de traîner en route nous n’irons plus au bois la vie sérieuse attend la chambre à ranger et le dîner à préparer ces deux poivrons qui attendent la queue en l’air près de l’évier il va falloir leur faire un sort & ça me fatigue rien que d’y penser j’ai attaqué Guerre et Paix 894 pages je voudrais tellement savoir ce qui va arriver à Pierre Bézoukhov et à Natacha trop belle dans ses soies et si le prince Bolkonski reviendra de la guerre encore quelques verstes à parcourir et trois feux rouges -jamais au vert allez savoir pourquoi- couper le contact et le sweet homequi attend
(en lisant Guerre et Paix)
just before
tout le monde est couché le lave vaisselle tourne gentiment doux bruit ronron maison c'est la bonne heure pour le piano dolcissimoaccords posés au creux des touches chercher tâtonnant ce lied de Schubert celui du meunier en confidences avec le ruisseau et sur le point de s’y jeter ô tentation de la petite chambre de cristal bonheur sous-marin un si grand désespoir pour de jolis yeux infidèles si doux si gais si traîtres –en valait-elle la peine sûrement pas mais- à la vingt troisième mesure bizarre d’un coup ça pique à la gorge cet air-là ne pas le jouer trop souvent ça finirait par être mauvais pour le cœur
(sur la Belle meunière de Schubert)
reconquista
c'était un départ en fanfare une aube glorieuse hérauts trompettes chevaux caparaçonnés armes damasquinées et parade -rien pour la peur !- la route était longue les pluies sont arrivées et puis trop de soleil & tout ce vent les rires ont fini par s'éteindre délavés les chevaux blancs de sueur la folie dans les yeux et sous les armures couvertes de poussière le vertige mais on ne revient pas en arrière au soir halte loin des villages apeurés & les hommes qui parlent en hommes pour tenir en respect la fatigue et tout ce qui rôde puis sur le radeau les rats et son infante morte dans les bras beaux jupons déchirés et nous pauvres conquistadores de nos vies qu'en avons nous fait ? c'était un départ en fanfare qu'en reste-t-il ?
(sur le film Aguirre la colère de Dieu)
normales saisonnières
le médecin m’a rassurée m’a dit c’est normal de flotter un peu entre deux saisons cela arrive à tout le monde un jour ou l’autre il y a des médicaments très efficaces pour ça et puis vous en faites un peu trop aussi les journées n’ont que 24 heures vous savez j’ai dit merci je sais je vais essayer de retrouver un courant porteur une brise/un zéphyr/un alcyon/un alizé/autre chose mais il faut que je vérifie que cela n’arrive qu’aux changements de saisons en sortant passée pressée à la librairie acheté des bouquins même pas remboursés sécu & attention aux effets secondaires indésirables des histoires hauturières pour traverser les nuits clignotantes indécises yeux ouverts Amok et le bateau et le remords et Mary Stuart reine d’Ecosse droite devant la hache en cette tour de Londres décorée de corbeaux gardé l’ordonnance en marque-pages
(en lisant Stefan Zweig)
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Metropolis song
Ô transhumantes cohortes de quels alpages descendues en sacs écharpes paquets barda contre soi serré l'œil au vague rêveur -pas même- paupière lourde et la tête qui dégringole abandon vite repris on croise des mots des chiffres réduire ce temps qu'on dit contraint c'est poli -on s'y emmerde oui- sauf à lire ou déchiffrer les visages du soir lassés de la journée écouter quelque chose un fado une chanteuse andalouse airs promenés en toute grisaille et voir tomber la nuit bleue -dure pas longtemps le bleu mais quelques instants un ciel d'Italie-
Conversations assourdies une stridulante sonnerie réveille le monde on feuillette les journaux et la vie des autres le corps des autres les amours des autres leurs secrets pauvres mises en scène confidences éventées ces magazinières idoles qui s'immolent sur pages glacées & tendances de la saison Bien intéressée la dame en manteau rouge soyez glamour soyez en forme soyez au top restez mince après 82 ans mourrez en beauté fadaises dans l'entonnoir du temps indigestes abondances oui indigestes vraiment
je suis dans le train et toi ?et il dit sa vie le cours des choses à lui chacun s'en fiche toujours plus lourdes les paupières sur le journal du jour et les vieilles nouvelles les murs des gares de passage fleuris tagués et lettres blanches sur fond bleu ça va trop vite pour lire de toute façon on n'a pas l'intention d'y aller vivre
Le bleu a fini son heure sans raison on ralentit stoppé en pleine voie pizzas à emporter livraison gratuite à domicile et au bureau on n'en demande pas tant une buée froide dégoulineuse a envahi la vitre et adieu les pizzas à emporter soupirs regards lassés espoir le train repart vers les foyers meulières étroites & closes tu as passé une bonne journée ?
écouteuse, voleuse ? comment dit-on pour les voix ? toutes celles qui passent à portée d'oreilles toutes les voix errantes voix dérivantes voix suspendues accrochées en l'air elles sont pour moi c'est ainsi je n'y peux rien elles se croisent se télescopent traversent chahutent je dois avoir un endroit spécial pour les accueillir les garder au chaud
Parfois elles se mettent à parler entre elles sacré bazar dans ma tête ce flot ce flux ces rivages aperçus je leur dis d'arrêter mais elles ne m'écoutent pas j'ai tout essayé pour les ranger dans des boîtes des cartons des caisses sur des étagères rien à faire je ne peux pas leur donner tort après tout une voix c'est fait pour se faire entendre & je m'invite comme ça au bord des vies
Souvent je ne sais plus si c'est dans ma tête ou ailleurs qu'on parle je confonds c'est ça le problème je me suis habituée à vivre avec ces fréquences un peu brouillées éclats de vie en confluences intersections croisements elles prennent leurs aises s'interrompent & s'en retournent sautiller de plus belle
St Lazare ralentissement terminus extraction la cohorte saute à quai monstrueux abordage la file noire s'allonge vomie des wagons il faut y aller personne ne rigole vraiment Ah si cette fille-là mais c'est différent elle parle à son téléphone & le jour lui est léger que chacun sache ici sur terre ce soir pour lui elle se fera la plus belle possible belle à mourir insouciante amoureuse bavarde ailée elle n'est plus ici elle court sur un fil bouquet dans une main ombrelle dans l'autre et rit pressée d'atteindre vite la rive du soir & n'être que belle
la cohorte a rompu son ordre de marche au bout du quai chacun a repris sa liberté aller à droite/à gauche/en face éviter les corps qui courent à contre-sens à contre-jour à contre-tout la vie c'est par là suivez les flèches les ordinateurs les rendez-vous attendent café court long sucré non sucré ?
entre le marchand de journaux best sellers boissons fraîches barres chocolatées cartes téléphoniques et le poste de police il faut plonger sous sol sous terre ligne 13 traversée nord sud couloirs
Les mêmes mendiants tous les jours sacs crevés couvertures en loques entassées petits chiens dans un panier -ayez pitié oh ayez pitié messieurs dames-
(…)
train de vie
(…) comment portez–vous le temps
qui vous porte (…)
Alain Freixe
Tu marches ta vie apprentissages un pied l’autre/un lieu l’autre/une vie l’autre/un songe l’autre/une histoire l’autre tu marches city randonneur/alsphate flâneur/bitume walker/lapin duracell parti pour la journée parti joyeux pour des courses lointaines toutes boussoles fracassées
Tu marches assoiffé glouton & grands désirs Règle numéro un : toujours de l’avant tête haute et pas reculer tu marches boiteux bancal bancroche si tu veux tu marches quand même Règle numéro 2 : équilibre/pesanteur : sinon tu tombes et là cassé pour de bon L’air de rien ou bombé avantageux/content dépend des jours du sens du vent des yeux jolies passantes
Tu marches finiras bien par arriver ici/là/ailleurs pas d’importance tu colles ensemble les petits stück gaffe pas en paumer rien à revendre essayer dessiner quelque chose pas la grande fresque rêvée pas le temps pas su faire trop dur L’épopée une autre fois les trompettes/lauriers une autre fois souviens toi tu n’es qu’un homme oh non pas de risque faux pas torgnoles luxations châtaignes pas plus que d’autres mais bien ton compte quand même
Tu marches bien occupé collectionner petits morceaux de verre dépolis couleur bleuet séché/vert céladon les galets les coquillages des souvenirs pour l’hiver souvenirs d’eaux douces très douces & des corps au tien violent frottés pour le cri la joie
Tu marches ondulations équilibres sur les arêtes du cube/perdu dans les fronces & les plis course sur le fil -pas tomber ce coup-là- tu renâcles tu butes tu bronches tu pleures oh oui tu pleures ta main tendue l’air imbécile & le nombre d’or qui ne tombe jamais juste mais tu marches vivant tu marches so what ?
(…)
Tu t’es jeté à l’eau/au feu/dans les mains du diable/la gueule du loup/la fosse aux lions/au cou d’une tant belle/sous un train/ c’est la fosse aux lions que je préfère le côté dolman rouge brandebourgs dorés roulement cymbales
Sûr que le lion se fait chier attend son petit tour hop cerceaux rêve de la gamelle bouffer le dompteur et se casser dans la savane Dans le livre c’était un type tout seul dans la fosse les lions n’en ont pas voulu miracle alléluia belles histoires
Se jeter disais-je oui comme ça n’importe où n’importe comment parce que il faut y aller arrêter de discuter y aller et c’est tout
Tu bondis comme c’était beau saut de l’ange cascadeux artistique triple salto arrière réception parfaite salut à la foule bravo pour le clown merci msieurs/dames feras encore mieux la prochaine fois sauf gaufrage violent et toi kaputt fauteuil roulant -entre nous préfèrerais pas voir ça-
Toi cabri bondissant jaillissant par-dessus les nuées parcours sans faute ricochant rebondissant la joie la joie qui te mène & bondir encore à tout perdre c’est bien toi ça tu joues/tu gagnes tu joues/tu perds tu joues funambule la beauté du geste mais ceux qui restent à te regarder transis tremblants dis-moi un peu ?
Tu t’enfuis parce que la peur/parce que l’ennui/parce qu’une autre/parce que rien plus envie ? tu as filé, détalé comme un lapin garenne pas pressé finir civet plié bagages pris tes jambes/ton cou et la poudre d’escampette par-dessus clé des champs en prime
Parti carapate ciao évanoui en brumes de lacs italiens disparu pris le large et moi qui n’ai pas su te retenir rien su rien vu
La dérobade l’échappée oh non pas si belle triste éloignement & attendre dissipation larmes matinales mais comment donc l’amour un jour se retire ?
(…)
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Mots du jour et de la nuit (classic poems), de Claude Cailleau,
Editions du Gril (11, av du Chant d’oiseaux, B1310 La Hulpe), 39 pages.
Paru dans Pages Insulaires 2009
Que nous offre Claude Cailleau dans ce récent et court opus -un cahier presque- , sous une couverture souple couleur de café clair, invitation à se glisser dans la poche et à y demeurer au chaud entre deux moments de lecture ?
Un très beau dialogue entre des poèmes et des fragments de prose, datés comme les pages d’un journal, où vient de temps à autre se glisser -se sertir- une phrase de Reverdy, de Paul Valéry ou de Dino Buzzati. Réminiscence, association d’idées, prolongement, échange, écho ou souvenir…
L’ensemble s’offre autant à une lecture ininterrompue qu’à une approche fragmentée, sans qu’aucun des textes en pâtisse, tel un tableau présentant une entité, mais dont chaque détail recrée un univers propre, ravissant ou interrogeant le regard, proposant d’autres perspectives.
Tout cela se tisse, se tresse, se noue, se poursuit, s’interrompt, repart. Pause. Silence. Soupir. Demi-soupir. Quart de soupir. Reprise. Rarement l’expression imagée du « fil de la pensée » n’aura trouvé si juste illustration.
Doit-on aussi dire que ces courts poèmes en octosyllabes sont, aussi surprenant que ce soit, écrits en rimes ? Oui, en rimes, à la fois présentes et discrètes, subtiles avec leurs enjambements, leurs parenthèses, leurs retours inattendus, leurs arrêts. Des rimes qui se font oublier tout en faisant entendre leur petite musique particulière. Curieux paradoxe, et réalité.
Sous la lampe veillantequi/délimite l’espace où vivre,/c’est dans la nuit, soudain jailli/du vide, un mot qui vous délivre.
Claude Cailleau entretient la demi-teinte, le « au bord de », le ressenti ou la pensée en marge, en lisière, l’entre-vu, l’entre-dit, l’entr’entendu, hors certitudes entre présent et souvenir, entre joie et douleur, entre accomplissement et renoncement.
« 9 novembre. La phrase s’étire, s’écarte, se fourvoie. Explore encore. L’encre est noire, blanc le papier. Sur le deuil, qui épouse le poème, la Voix propose un compromis » et « l’incertain au cœur de l’improbable ». Les yeux grands ouverts, simplement parce que c’est ainsi. Et l’écriture pour dire, parce que cela ne peut qu’être partagé.
« 11 décembre. La pluie habille le silence. Le jour est doux comme une prière. L’homme se tait, à l’écoute d’une enfance perdue dans les couloirs du temps. Chacun se cache derrière une image de soi ».
Mais laissons au poète le dernier mot, ouvert sur les plus grands espaces : « Ecrire est à la fois essentiel et dérisoire ». Qui d’entre nous n’en est intimement persuadé et, comme lui, ne sait faire « autrement » ?
GJ
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Par gaellejosse dans note sur "ciseaux à puits", d'Anna Jouy, chez Polder le 18 Janvier 2010 à 11:32
Ciseaux à puits, Anna Jouy, Polder 137, 58p, 6 euros
Paru dans Pages Insulaires 2008
De chair et de sang, de sperme et de tripes. Voilà une écriture qui regarde le lecteur en face, le harponne et ne le lâche pas. Anna Jouy écrit dans le vif. C'est couteau entre les dents qu'elle aborde les mots. Et entaille jusqu'à l'os. Pas de quartier. Pas le temps. C'est l'heure où l'âme sort ses tripes et les dépose en/cadeau aux bohémiens du détritus.
Anna Jouy écrit debout, face au vent. Le silence je l'ai enfiché dans le profond de la terre, dans/un pot pesant/je l'ai nettoyé de pluie puis tuteuré et puis coupé et puis/saqué
Bravache, mais elle tremble. Toute la nuit, les êtres s'accrochent, oh non ne pas mourir dans le noir ! Et rend grâce. je crois bien qu'un tilleul dans quelque lied allemand vient/d'ouvrir ses ramures. Car tout va cesser, un jour ou l'autre.
La vie, éblouissante et contondante. on y va comme au puits/quelque chose est là qui attire et refoule, de montagnes/de chant, des tambours de dégoût/chez moi tout s'éventre et sort en césarienne/et pourtant sur la margelle de cet aven noir, le carnet de/notes d'un géographe poète.
Elle chevauche à cru, et les sexes et les mots. Il faut désirer, et jouir, la solitude est au bout du couloir, de toute façon. j'habite un abandon illustre, grandiose avec balcon. Alors, aimer, et encore aimer. jouir dans un état second, jouir sans mérite peut-être, jouir/d'avoir trouvé le mot bavard quoique lucide, ce mot/second/où je bataille alors que dans de gestes restent à faire.
Écouter le sang taper aux tempes et marcher au bord du précipice, tant pis si on tombe. L'écriture d' Anna Jouy est complexe, dense et polyphonique. Collision frontale, à prendre ou à laisser.
Course à l'abîme, étourdissements. Vous dire combien il est douloureux de chuter du regard/de celui qu'on aime/c'est arrivé hier soir, ses yeux m'ont laissée choir et le vers/s'est brisé : fracture de poésie/il va falloir plâtrer et le mot se rigidifie déjà.
Et questionner, questionner encore. De quels ailés peut-on encore rêver ?
L'ombre de Francis Bacon. Le cri. Bouche et dents ouverts sur le vide, sur du rouge, entre terreur et jouissance. Anna Jouy, haletante, balafrée, vivante.
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