• "les chiens errants n'ont pas besoin de capuche", Thomas Vinau. GRos textes

    Paru dans Pages Insulaires 2009

    Gris souris, gris poussière, gris anthracite, gris fer, gris acier, gris ardoise, gris tourterelle, gris perle, gris pommelé, gris de plomb, de bitume, d'asphalte, de fumée, de cendre, de nuages, gris-bleu, gris-brun, vert-de gris : la palette de Thomas Vinau travaille en un subtil chromatisme la couleur des jours de tous les jours.

    Entendons là les jours sans gloire, ceux qui patinent, boitent, s'embourbent. Les jours cendreux, pâlots, hésitants. Jour de voiture, de courses/de station essence, de bureau/de papiers, de compte bancaire, de réveil-matin, de sandwich froid(...)/Jour perdu.

    Car Thomas Vinau n'est pas même sûr d'être le héros de sa propre vie, et lorsque pénètre un rai de lumière, c'est toujours à pas prudents. Le poète attend un peu pour se réjouir, on ne sait jamais, ça s'enfuit parfois plus vite que l'on croit, la lumière. Alors il se méfie, forcément. J'allume un feu/Billie Holiday souffle dessus/cendres dans l'air/j'ai l'impression/qu'elle me sourit.

    Thomas Vinau écrit le blues comme d'autres le chantent ou le jouent. Il pleut d'un janvier gris/J'écoute Elliot Smith/en buvant du café/Aujourd'hui il faudra vivre par petits bouts. Le quotidien est souvent poisseux, contondant, ordinaire et compliqué. Tragique bien sûr, mais on ne va pas en faire toute une histoire. Surtout pas. Aujourd'hui est le souvenir d'hier/C'est perdu d'avance/Certains jours n'existent pas. Peut-être faudrait-il s'enfuir ? Il y a douze mille raisons/de partir de ce trou/mais l'ombre/sur le mur du garage/a fini par le convaincre/de rester.

    Et l'amour ? Ah oui, l'amour. Moins fort, s'il vous plaît, et moi je suis vivant/tant que tu restes dans le coin.

    Avec ses mots plantés au milieu de la page, des mots qui font la tête, ni gracieux ni jolis ni polis, c'est un son mat, et terriblement juste, qu'il recueille. Celui des jours qui passent, les siens, les nôtres. Levez-vous, orages désirés, ce sera pour une autre fois. Et encore.... Les chiens errants n'ont pas besoin de capuche, dit-il. Soit. Mais peut-être avons nous besoin, nous, des mots de Thomas Vinau. Ils sont ceux d'un frère.

    GJ


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  • Poésie et Philo : "Réduction en cristaux" ou explications de montage ?

    Paru dans Pages Insulaires 2009

    Le monde nous interpelle. Il nous interroge (toujours), nous révolte (souvent), nous séduit (parfois), nous attriste, nous réjouit, et bien plus que cela encore. Bref, il nous bouscule, et il n’est pas de jour (ou presque) où nous n’en cherchons les clés.

    Compliqué, tout ça, et de plus en plus, semble-t-il. Poésie et philosophie apportent-elles des réponses à la marche de l’univers et à celle de nos vies? Des tentatives d’explication tout au mieux, des grilles de lecture peut-être, ou une simple expression de ressentis, de perceptions fugaces, insaisissables.

    Comprendre le monde, dire le monde. Faut-il choisir son camp ? Conclure à l’irréconciliable ? Pas nécessairement : on voudrait bien sortir de la pensée binaire, éviter de se montrer réducteur, simpliste, manichéen, et parvenir à cette belle réconciliation rêvée du cœur et de l’esprit, éviter le vain combat Kant contre Michaux et Heidegger contre Saint John Perse, la dichotomie réflexion/émotion, et pourtant….

    J’ai fait le tour de ma bibliothèque avant de commencer à écrire cet article. Soyons honnête : le coin philo, c’est vite vu. Plus de trous que de gruyère. Un peu de Sénèque, Marc Aurèle, Nietzsche, Barthes, Sartre, Jung, Freud, Diderot, Bachelard, Jankélévitch, Lao Tseu, Camus, ajoutons-y une poignée de souvenirs et de citations éparses en mémoire. Les faits sont têtus : pas de quoi monter une boutique. Il y a sûrement des raisons à cela.

    La question que je me pose alors est celle-ci : comment la parole, poétique ou philosophique, me touche-t-elle ?

    Il y a l’esprit d’analyse et l’esprit de synthèse, on le sait, le décorticage, montage/démontage avec déduction/conclusion, l’étalage des pièces détachées, la sacro-sainte méthode, la vision « par le haut », et la perception immédiate, fulgurante et irrationnelle, l’intuition, la force de l’image (sans considération esthétique de beau/pas beau, on s’en fiche), bref le chemin le plus court vers l’essentiel, cette « réduction en cristaux », comme nomme joliment Charles Dantzig la poésie dans son remarquable « dictionnaire égoïste de la littérature française » (lecture très recommandée au passage, en livre de poche, 10 euros pour 1142 pages d’intelligence, d’humour, et de réjouissants partis-pris).

    Philosophie et poésie se seront reconnues dans ces (très libres) approches. La parole me touche donc émotionnellement -ce qui ne dispense pas de s’interroger un peu-, ou intellectuellement. Et alors ?

     Prise de conscience intime

    J’ai tendance à penser que ce qui n’a pas été éprouvé, ressenti de façon intime n’est que joyeux sifflotage dans un violon. On peut avoir ingurgité tout Lacan en version originale sans pour autant avoir réussi à démêler tous les embrouillaminis d’un inconscient aux abois. Il n’est pas inutile bien sûr de se munir de quelques notions pour la route, pas question de jouer le tout-émotion contre le tout-cérébral.

    La philosophie constitue tout de même une intéressante boîte à outils. C’est parfois bien utile de mettre un nom sur les choses, de ramener un peu d’ordre dans sa propre pensée, de dépasser les approches émotionnelles et fragmentaires en confrontant les points de vue et en élargissant sa réflexion. Mais c’est comme tout, la boîte à outils n’est utile que si on s’en sert !

    Quant à la poésie, si elle n’est que plaisir d’assembler des mots comme on collectionne des timbres ou des coquillages, ce n’est certes pas un crime, mais c’est d’un intérêt un peu limité à mon avis.

    Je crois à l’élément déclencheur, à la prise de conscience intime des choses. Ainsi Nietzsche, qui m’intéresse déjà par ses écrits, me touche, me bouleverse, le jour où il se jette en larmes à la tête d’un cheval de fiacre maltraité, signant là d’ailleurs son bulletin d’internement. Parce que fragile, humain, trop humain. Il ne s’agit pas d’un épisode anecdotique de vie privée, mais d’une humanité profondément ressentie. Eprouvée.

    Il en va de même lorsque ses disciples demandent à Socrate, à la veille de boire la ciguë, pourquoi il se commence à jouer de la lyre, et qu’il répond « pour apprendre à jouer de la lyre avant de mourir ».

    Loin de moi l’idée de réduire une pensée à la vie de son auteur et à quelques récits  pittoresques. La philosophie m’intéresse lorsque le général rencontre le particulier, c’est à dire la vie, la personne, l’être humain, vous, moi. Autant dire que la métaphysique me laisse de marbre.

    La poésie quant à elle m’interpelle lorsqu’elle va au-delà d’une simple jouissance esthétique, et qu’elle entre en résonance avec l’universel, en suscitant une interrogation, en précisant une intuition, en proposant une image, et plus largement un imaginaire, un univers qui fait sens pour moi, en offrant une énergie, une pulsion. Il me semble d’ailleurs que cela vaut pour l’art en général, musique ou arts plastiques, mais c’est un autre débat.

    Mais je ne serais pas sincère dans cette chronique si ne faisais cet aveu : les livres de philosophie ont une fâcheuse et répétitive tendance…à me tomber des mains s’ils ne sont aussi œuvres d’écrivains. Longueur des phrases, absence de respiration, constructions labyrinthiques et dédaléennes, mots interminables définitivement scellés dans leur mystère, et me voilà dissuadée de poursuivre. Ce n’est pas glorieux, j’en conviens, mais c’est ainsi.

    Que m’auront apporté, en définitive, philosophie et poésie ? C’est peut-être dans la réponse à cette question que se réalise, en définitive le partage des eaux. Ou leur réconciliation.

    Ce qui m’importe, c’est de trouver un écho, une réponse à un « besoin d’humanité ». Une fraternité d’être.

    De rencontrer la certitude, à un moment donné, d’être reliée à l’Autre, dans ses épreuves et ses éblouissements. C’est davantage en terres de poésie que j’ai trouvé cela, il me faut le reconnaître.

    Alors c’est naturellement à un poète que je donnerai la parole en dernier lieu, avec, par exemple, ce mot rencontré récemment chez Guy Allix : « Tu retiens l’impossible dans la paume du rêve ». Comment mieux exprimer tout ce qui donne son intensité et sa (dé)raison d’être à nos vies, fragiles, imparfaites et uniques ?


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  • Les philosophes au piano...L'être et le piano ?

    Paru dans Pages Insulaires 2009

     Inattendu et passionnant. Profondément orignal par le sujet qu’il aborde, l’essai de François Noudelmann, paru en fin d’année dans la collection blanche de Gallimard, explore une part d’intimité restée inabordée chez ces trois figures de la pensée que furent Sartre, Nietzsche et Barthes.

    L’auteur se penche trois personnalités qu’a priori pas grand-chose ne rassemble et les montre sous un éclairage nouveau. Un trait commun les réunit : ils sont des amateurs. Des pianistes amateurs s’entend. Révélation surprenante. Le piano en partage. Où, quand, comment ? Mais que l’on ne s’y trompe pas : aucune gratuité anecdotique dans le propos.

    L’essai interroge l’origine, le contenu et le sens de cette pratique, et approche ces trois philosophes de façon inédite, comme on redécouvre les traits d’un visage a priori connu.

    Pour le plaisir, imaginons la scène : Sartre, Niezsche et Barthes autour d’une table. De quoi parlent-ils ? De l’homme, engagement et dépassement, mythes, signes et symboles ? Pas si sûr. De la lecture de l’essai de François Noudelmann, ils pourraient bien parler de musique, de piano plus précisément. Exégèse du Clavier bien tempéré ou commentaire éclairé sur la complexité harmonique de Brahms ? Pas même. Plutôt échangeraient-ils sur leur façon d’aborder une partition, sur leurs compositeurs de prédilection ou sur leur relation à l’instrument. Lieu, temps et place.

    Temps discret, temps privé, secret presque, mais aussi temps essentiel, puisque tous trois ont joué avec constance tout au long de leur vie en préservant ces moments  « à part », contretemps ou contrepoint de leur existence.

    Ce que François Noudelmann questionne ici, c’est ce que la pratique musicale amateur, c’est à dire non revendiquée, sans souci de maîtrise ou de démonstration, met en jeu chez des hommes de pensée, de discours, de savoir, d’autorité.

    La pratique personnelle de la musique, et non la seule audition d’oeuvres en tant que mélomane, constitue un engagement autre, et suppose l’abandon d’une attitude trop volontaire, d’une pensée rationnellement construite. Non que la pratique musique exige de renoncer à toute forme d’intelligence ou de travail, mais elle mobilise d’autres ressources, d’autres affects, exige des approches d’où le seul vouloir est exclu, d’où le savoir  n’est porteur d’aucune résolution. C’est aussi le corps entier qui entre en jeu, et non seulement les doigts ou les poignets. Il y a du charnel, du sensuel, de l’intime dans cette relation.

    Jouer en amateur, c’est se mesurer quotidiennement à ses limites, ses insuffisances, à son im-perfection. Nécessaire humilité, nécessaires renonciations, nécessaires recommencements pour un résultat incertain, approximatif souvent, que chaque nouvel essai remet en cause. C’est accepter l’inachèvement et l’inévitable distance avec le résultat espéré.

    Il faut imaginer Sysiphe heureux, écrivait un autre philosophe. Il entre en effet quelque chose de cet ordre là, entre besoin –inexplicable et indiscutable-, jouissance et frustration dans ce qui se joue dans cet espace, tout à la fois concret et mental.

    Nous voilà loin de la posture du « sachant », élaborant et proposant avec assurance une lecture du monde et de la destinée humaine. Quelles interactions, quels enrichissements, quels éclairages la pratique musicale, aussi modeste et lacunaire qu’elle fut, vint-elle apporter à Sartre, Nietzsche et Barthes ? Quels correctifs, quelles remises en cause ? Quels nouveaux espaces ? Quelles joies, quels ressourcements dans ce temps retranché, soustrait au temps public, engagé ? Quelles contradictions aussi ?

    Il est également intéressant que l’essai ait volontairement choisi de laisser de côté les exemples de Jankélévitch ou d’Adorno, trop installés dans le discours sur la musique, dont les écrits font autorité dans ce domaine. Trop « professionnels » en quelque sorte. La pratique qui intéresse François Noudelmann ne s’affiche pas, n’affirme rien, ne démontre rien. Elle est désintéressée, détachée de tout objectif, et très simplement indissociable de l’être. Marginale autant que vitale.

    Façons d’être

    Que jouaient-ils, comment jouaient-ils ? C’est dans cette dimension descriptive, que François Noudelmann complète d’une approche psychanalytique particulièrement aigüe, que le lecteur trouvera d’intéressantes réponses.

    Sartre, pianiste maladroit, jouait chaque jour, le plus souvent chez sa fille, Arlette Elkaïm, y compris aux temps les plus brûlants de son activité militante pro-maoiste, et se délectait des Préludes et Nocturnes de Chopin, compositeur considéré comme bourgeois et réactionnaire, et à ce titre interdit en Chine… L’auteur des « Mains sales » déteste d’ailleurs le concert, perçu comme une assemblée de notables. Il discourt sur la musique contemporaine, analyse Xenakis et va entendre du jazz à St Germain des Prés, mais dans sa pratique intime de la musique, ce sont de toutes autres harmonies dont il se berce. Du décalage entre le déclaratif et le comportemental, et de la richesse de nos contradictions…

    Nietzsche fut certainement le musicien le plus affirmé des trois. Pianiste brillant, improvisateur, transcripteur, interprète…et compositeur. Piètre compositeur, semble-t-il, d’une cinquantaine de pièces de faible intérêt. Pourtant, l’auteur de Zarathoustra se voulut, ou se rêva toute sa vie compositeur. Intime du couple Wagner pendant un temps, n’envoie-t-il pas à Cosima une brève composition pour son anniversaire, dont la peu charitable épouse et son mari se gaussent en privé ? Amitié passionnée, fusionnelle, puis rejet, et haine.

    Nietzsche reproche à Wagner de transformer la musique en discours et en système et ne trouvera pas de mots assez durs pour condamner sa musique. Rejetant aussi un Schumann naguère vénéré, il se tourne vers d’autres amours : Chopin, Chopin absolument. Il pleure en jouant ses mazurkas et place au dessus de tout sa Barcarolle, dont le subtil balancement fait naître en lui des nostalgies de lumière italienne. Autre attachement musical, assez surprenant : sa passion pour…Bizet, et son opéra Carmen, qu’il n’entendit pas moins de vingt fois, et dont il rejouait les airs au piano.

    Le cantabile de Chopin, la douceur du bel canto, apaisement, consolation avant de sombrer dans la nuit ?  Plus tard, interné à Iéna dans un asile, exilé du langage et de la pensée, il passera encore de longues heures, quotidiennement, au piano. La musique, langage hors du langage.

    Barthes fut quant à lui un amateur d’un autre ordre encore : un déchiffreur, un inlassable déchiffreur de Schumann, qu’il jouait tous les après-midi, auprès de sa mère. Pianiste médiocre nous dit François Noudelmann, sa passion est la découverte, la lecture de l’écriture schumannienne. En cela fidèle à sa fascination pour le signe. Ni souci d’achèvement ni de justesse du tempo, il feuillette les partitions, vagabonde d’un morceau à l’autre, abandonne, demeurant dans le parcellaire et l’inachevé. Fragments d’un discours amoureux… «Schumann me touche », disait-il. Temps suspendu.

    Pour tous les trois, le piano, le jeu, fut vécu comme lieu d’apesanteur, d’abandon, de retrait et d’engagement à la fois, comme lieu de liberté, de re-création, temps hors savoir, hors analyse, hors discours. Où se jouent toutes les harmonies et les dissonances de la vie.

    Gaëlle Josse

     François Noudelmann, LE TOUCHER DES PHILOSOPHES. Sartre, Nietzsche et Barthes au piano. Paris, Gallimard collection blanche, 192 p, 16 euros


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  • Quant l’obéissance devient impossible. Emmanuelle K. Le Krill Editeur/Editions de la Différence. 4 recueils (I Vertige de l’écart, II Les brutes, III L’indépendance du sourire, IV Les chemins du désir). 18 euros.

    Paru dans Pages Insulaires 2009

     Qu’il est réjouissant, et réconfortant, de lire Emmanuelle K. en ces temps de fadaises mollasonnes, de (con)sensualité bien-pensante, de postures faussement rebelles, et de tiédeur de la pensée calibrée et médiatique !

    Oui, assurément, quel bonheur de rencontrer une pensée libre et une écriture forte, une telle subtilité de ressenti et une telle exigence ! Du souffle -pas du vent-, du feu, du vrai, de la lave, et du corps. Une présence qui n’a pas froid aux yeux, ni aux mots. Même pas peur. Face au règne de l’ersatz brille, par intermittence, /la lueur aveuglante plantée/dans le cerveau des fous.

    Série noire en quatre volumes : quatre recueils à couverture noire réunis ans un étui cartonné noir, lettres rouges. Effet stendhalien facile ? Non, car les temps sont effectivement assez noirs, et la révolte s’écrit encore en rouge. L’ordre de ce monde ? Quelle farce !/Discipline, embrigadement, soumission/aliénation du plus grand nombre.

    Emmanuelle K porte en elle un torrent, un fleuve en crue, un geyser Elle a écrit là un poème symphonique en quatre mouvements, avec cuivres et percussions. Une tragédie en quatre actes. Lecteurs frileux s’abstenir ! (mais il n’y en pas à Pages Insulaires, n’est-ce pas ?)

    Notre monde va mal, ce n’est pas une découverte, et ça ne va pas en s’arrangeant, semble-t-il. Alors il faut savoir dire non. Non merci, mais vraiment non. Le pouvoir, l’argent, l’homme marchandise, non. Arracher la perfusion d’anesthésiant, parce que ça va bien comme ça. Faire un pas de côté/C’est urgent/Car il s’agit de l’être/et l’être est désirable.

    Qu’on ne vienne pas parler de sympathique naïveté et de douces illusions.Sait-on de quoi est capable la colère ? Ma vie, je l’ai volée./D’abord par nécessité, ensuite par pur plaisir./ Je ne me déguise pas en artiste./ Je suis nue, armée de désir et compte tenir longtemps.

    Retrouver des espaces de pensée, de parole et d’écriture. De liberté, allons-y. De survie, tout simplement. Les mots d’Emmanuelle K. ouvrent la marche dans cette direction. Avec de grand pas généreux, et excessifs, forcément. De grands pas nécessaires pour ne pas finir lobotomisé. Petit manuel de résistance pour les jours d’aujourd’hui. Démesurément, j’ai imaginé l’autre et forcé la vie.

    La voix de l’auteur sait aussi s’infléchir, murmurer. Car s’il y a le monde, il y a aussi la vie. La sienne, qui ressemble un peu à la nôtre. Amours regards absences, les doutes et tout ce qui s’ensuit. Et parfois, on est heureux. Mais si, ça arrive. Et Emmanuelle K est un poète. Cela fait beaucoup de bonnes raisons de la lire. Ne vous en privez surtout pas.


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  •  T'occupe pas de la marque...(eurovélojournal 2007), JeanPierre Nédelec,

    Polder 138, 54p, 6 euros

     Paru dans Pages Insulaires 2008

    Jean Pierre Nédelec, jubilant véloteux, embarque pour un périple de 4500 km, de sa Bretagne à la Mitteleuropa. Par l'Italie. Venise, Trieste. En selle !

    Ni sportif soucieux de performance Aïe ! Aïe ! Aïe ! Mon cuissot/tentative de trahison mon salaud ! ni touriste ébaudi et passif. Homme du aller vers .

    Disponible à l'instant, à la rencontre, aux perceptions, fussent-elles les plus ténues, les plus incertaines. Joies, râleries, fatigues, car le poète a parfois mal au cul...Coups de gueule, et bière à l'étape. Pédale crétin en nage ! fabrique ton vent/assaut de la soif la vraie à courir les canettes . S'insinue parfois une modulation en mode mineur. Passage à Mathausen alors je ne peux dormir ici ni manger/trop de fantômes m'agitent/garde ta mie boulanger.

    Et glissent les silhouettes de Joyce, Umberto Saba, Italo Svevo, Céline, Verdi....Réminiscences, allusions, dédicaces.

    Juxtapositions lexicales, raccourcis, ellipses et syncopes. La pensée et les mots accompagnent les méandres de l'odyssée. Car il y a là tout ensemble odyssée, aventure, équipée, balade et vagabondage. Voyage pluriel, voies et voix plurielles, et réjouissantes libertés.

    Les mots s'agrègent au fil des kilomètres, au bord des routes ou dans la chambre d'hôtel : l'écriture est celle de l'instant. Elle part en terres de découvertes, creuse en terres de mémoire et emprunte les chemins de traverse. Surgissements. Humour : comme si le voyage me prenait par la main/flot de camions bourrés de cochons/rugueux parfums vous me ramenez à la maison.

    Cycliste et poète, et pas moins homme. C'est une qui passe, court vêtue dans ce bar d'Acs sous-tif jupette fluo vert/la donzelle légère sous mon pif le cul nu.

    Jean Pierre Nédelec est attentif au réel qui l'interroge -autant qu'il l'interroge-.Quel but à tout cela ? se demandent/ces dames et je ne sais qu'invoquer/dame ! l'errance vaut-elle pensée ? offrande/au vide en soi ? enfance convoquée.

    L'homme de l'eurovélojournal est en résonance avec les espaces traversés. Ou bien sont-ce les espaces qui le traversent ? Jean Pierre Nédelec voyage, en marge, dans les marges. Là où s'écrit l'essentiel.


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