• Avec, de Béatrice Libert

    Revers d’encre, de Régine Ha-Minh-Tu

    Blanc aux murs rouges, de Chantal Danjou

    Chez Encres vives, 16p, 6,10 euros

     Oui, je sais, trois femmes, et même pas fait exprès ! Cela dit, ce printemps est « couleur femme », paraît-il. Quoi qu’on puisse penser de ce choix de « sexuer » la poésie, voici trois recueils qui n’ont pas besoin de cet alibi pour exister.

    Avec, nous dit Béatrice Libert. Avec, mais sans, et c’est là l’originalité de cet ensemble, car l’œuvre plastique dans laquelle le texte prend sa source ne nous est pas montrée. Exercice délicat, qui pose à sa façon la question du rapport et de la place de l’écrit par rapport à un tableau, un dessin, une sculpture, une photo. Pas d’illustration ici, ni de face à face, ni d’à côté. Vibration, réminiscence. C’est tout. Les textes vivent seuls ici, séparés de l’objet primordial. La deuxième voix devient voix principale, parlant en tant que, et seule à dire.

    Il appartient au lecteur, s’il le souhaite, de faire appel à sa mémoire, ou sa curiosité, pour retrouver l’objet dérobé à la vue. Bram Bogart, Robert Delaunay, Van Gogh et d’autres moins connus. C’est sans importance. L’imaginaire sollicité par le regard prend son envol et nous offre des textes somptueux. Une aile bat/J’épouse le temps qu’il fait/dit l’ange/à l’aube de toute aube, ouQui perd trace/ De son rêve/Perd sa racine. Et encore : Chaleur poignard/Odeur du blé que meule/le cri jaune du ciel. CarBéatrice Libert peint des poèmes, le saviez-vous ?

     Avec ses Revers d’encre, Régine Ha-Minh-Tu nous propose une rare qualité de silence, accompagnée d’une extrême attention aux choses. Présence discrète, en retrait, en creux, qui s’efface pour accueillir ce qui se présente à son regard. Saisir l’instant dans le moi passager, dit-elle. Un art poétiquequi se déploie tout au long de ces pages. Attention, l’arrêt sur image est trompeur, car rien n’est figé par –ou dans- les mots, les images sont animées des plus subtils frémissements. Un train lointain suit le retrait du jour.

    Quelques maisons dans un village, et ces poèmes du feu de la St Jean : les choses devinées derrière les choses…l’ombre des arbres change à chaque instant. La sérénité n’est que de surface, les questionnements affleurent. Sans insister. L’auteure allie légèreté et profondeur, vision horizontale et verticale. L’horizon et le fil à plomb. La vue d’ensemble et le détail auquel l’œil s’attache. Ecouter le monde, l’accueillir. J’allume une bougie pour moi, pour un lien/dans le questionnement du geste. Présence. Très belle présence, que celle de Régine Ha-Minh-Tu.

     Chantal Danjou, dans Blanc aux murs rouges, évoque une page de vie dans un ailleurs au delà de la Méditerranée. Rien de pittoresque ni d’anecdotique, le trait est épuré au possible, la trace légère comme un souffle ou un pas d’oiseau. Marrakech. Trop vue, trop photographiée, trop écrite, trop racontée, usée, prostituée par un désolant tourisme de masse. Comment écrire encore sur Marrakech ? La réponse est simple : avec poésie, et avec talent. Avec beaucoup d’amour et un regard décanté.

    Le voyage de Chantal Danjou est intériorisé, elle a la main légère et le geste souple. Et les murs tremblent/et les portes disparaissent/chevaux chevaux/fermés sur le secret/de la caravane. Décanté ne signifie pas désincarné. Tout passe par le filtre de la juste sensation, transformée en esquisse dans l’athanor du poète. Ainsi demeure le mystère. Oiseau /sur marbre/absence suspendue/entre /bec/et vasque. Ce qui reste, une fois le carnet de voyage refermé. Revivre, les yeux fermés. Ouvrir les yeux. Poser les mots sur la page. Feuille rouge/autre réduction/d’une barque tirée/haut sur le sable. La poésie est là.


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