• Notes parues dans Pages Insulaires, décembre 2010

    On ne discute pas l'infini. Emmanuelle Le Cam. Illustrations de Valérie Depadova. Gros Textes, 85p, 6 euros.

    Les vents d'ouest portent la poésie d'Emmanuelle Le Cam. Ils accompagnent ses errances à la gare maritime, là où les lèvres se portent rouge vif les jours de retour, où sur les sentiers de bord de mer ils l'accompagnent dans l'attente d'un homme aimé, ou simplement désiré, mais ces fêtes sont parfois incertaines je ne suis/pas/certaine/de ton corps arc-/bouté dans le mien, même si certains jours, les seins en attente/insolents de toi., de charnelles célébrations doivent apporter une délivrance, fût-elle brève et illusoire.
    Les vents d'ouest s'insinuent au creux de la chambre, des draps, de la cuisine où l'on se fait chauffer un thé à côté de chats qui s'entortillent aux jambes, ils accompagnent la respiration des jours où le quotidien d'ici tremble d'autres quotidiens, celui de femmes voilées, enfermées, celui de guerres à charniers et à snipers, celui d'esclaves enfermés dans les cales des bateaux de la Compagnie des Indes. Cela n'arrête ni la joie, parfois, ni le désir, car la vie est là, je ferme les yeux/sur/la douleur/du monde. 
    Le corps exige, et chaque perception naît de la peau, des muscles et du ventre. Et il fait beau ce matin, il faut en jouir, je souris au vent qui va/dans mes cheveux et c'est un fragment d'enfance qui débarque là, les monstres se taisent/dans le creux des rochers/j'ai quatre ans à nouveau, et il y a si peu de paix sur terre, les ventres/ne sont pas/pacifiés et la fatigue, et la solitude qui nous prend dans sa houle je m'isole, me/calfeutre, me berce/dans mes seuls bras/lourds/de tant/de/rêves.
    Emmanuelle Le Cam, portée par les vents d'Ouest, leurs rugissements et leurs murmures, traversée de douleur et de vie, traversée d'infinis.

     

    Dites-moi à quelle heure...Jean Chatard. Editions Airelles, 22p, 4 euros.
    Dites-moi à quelle heure je dois être embarqué à bord
    ... C'est la dernière phrase d'une lettre au directeur des Messageries Maritimes, dictée par Rimbaud à sa sœur la veille de de sa mort.
    Fiévreux, agonisant, à quelques heures de son ultime traversée, l'homme des Illuminations rêvait encore de bateaux, de voyages et de départs. On embarquait la foi la danse/et l'ancolie à bord de ces bateaux/qui tressaient à la mer ses ultimes sentiers.
    Jean Chatard, qui fut aussi marin, a accompagné cet ultime rêve rimbaldien dans un long et magnifique poème. Dernier embarquement, dernière dérive, images traversantes, fulgurance des sensations, parfums, couleurs, brûlure du soleil, éclats de souvenirs, et le vol ample des oiseaux de mer. J'écoute le plaisir décortiquer la nuit/harceler l'heure et vendre à la criée/ses petites splendeurs.
    Il est trop tard pour tout, sauf pour se souvenir que quelques éblouissements, de secrets entrevus, du goût du poivre, de la trace du feu et de celle du désir. J'ai pourtant fait mon lit sur la plage des fous/parmi les mouettes bleues/attachées bellement au matin du ressac.
    Est-ce la fièvre qui consume un corps si proche de son ultime abandon, ou la réminiscence de caresses, de nudités et d'îles approchées ? Ta nudité me vêt en ces nuits de partage/et c'est un long plaisir que de l'apprivoiser.
    L'âme épuisée du poète demande asile, n'ayant à offrir pour prix du passage qu'un peu de vent entre les mains, un peu de ce souffle brûlant qui nous réchauffe et nous emporte, et dont nos temps épuisés ont plus que jamais, immensément besoin.
     


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