• Extraits du recueil TAMBOURS FRAPPES A MAINS NUES

    Quelques extraits de :

    Tambours frappés à mains nues, 64p, 10 euros. Plusieurs de ces textes ont été publiés dans la revue N4728 de janvier 2009 et dans l'anthologie 2009 de la revue MULTIPLES .

    antienne égarée
    ……………………… déjà le jour boitait bas ralenti dans son ardeur encombré d’insoucieux bavardages obstiné tu avançais chasseur d’épiphanies de repentirs éparpillés psalmodiant quoi ? une antienne hésitante tu voulais l’offrir mais à qui bon sang à qui ? tu t’assieds au bord des êtres si peu acceptent d’être dérangés -ils ont les jours de tous les jours à pousser devant eux & ça prend tout leur temps la vie est faite pour ça à ce que l’on dit- toi aussi tu fais comme tout le monde essayant de ne rien égarer mais tes mains sont en sable elles ne retiennent pas grand chose et jamais ce que tu voudrais juste quelques mots que tu essaies d’asseoir là où tu peux avant de les oublier

     

    labyrinthe

    ……………… pour vivre il a fallu rêver puis renoncer brûler des promesses les chances lâchées en plein vol c’est à genoux jusqu’au sang qu’on s’en approche à tâtons on essaie de les retrouver mais crois-tu qu’elles nous aient attendus ? leurs couleurs ont changé alors comment les reconnaître ? le chemin se rétrécit c’est dans les pierres les ajoncs qu’on avance et sans cesse il faut retrouver la piste à la course des étoiles à l’inclinaison des blés à l’avancée des ombres il n’y a pas grand monde pour dire si l’on se trompe -et de toute façon comment sauraient-ils ce que l’on cherche ?- ne rien dire juste offrir le sel et l’eau et attendre que l’on reprenne la route rassasié prêt à poursuivre l’horizon à chercher la sortie du labyrinthe mais nous sommes notre propre Minotaure alors que faire ?
     


    enigma
    …………….. l’énigme la très grande énigme sombre comme un puits incessant déchiffrage des jours égrenés en cortège farandole procession cavalcade avec leurs cymbales percussions clochettes puis c’est le silence celui de l’ouverture du septième sceau et la trompette de l’ange où serons nous alors ? il n’y aura plus de temps parole d’Apocalypse le livre et l’aigle toutes nos ébauches esquisses les rituels qui nous sauvent liturgies craintives psalmodiées sur des autels de fortune & le souvenir des fleuves remontés à mains nues -mais qui nous croira ? -c’est le souffle qui nous manque on cherche une médiane glissando entre les récifs et l’on préfère le cabotage l’échelle de Jacob il y a longtemps qu’on l’a posée de travers et c’est à la descendre qu’on va le plus vite mais que voulez-vous nous ne sommes pas des géants

     

     pas épique
    ………..veinés d’oubli tendus d’énigme encombrés de clameurs les jours mains éveillées à guetter le battement du temps sur la peau nue ces jours ces jours pas toujours épiques où l’on s’abîme ces gestes les mêmes ces mots redits y croit-on ? envie d’envol de galop Mazeppa et steppes et déjà le jour baisse il faut acquiescer au soir qui arrive mais envie d’envol

     

     little big man
    …….. le monde est trop grand nous voilà à tenter de le réduire à notre taille de l’ajuster à nos yeux accrochés à nos rituels rassurants ressassements répétitions accumulations précaires échafaudages il y a du bruit et de la lumière -bien trop- mais cela ne dure pas si longtemps après il n’y a plus rien ni bruit ni lumière game over c’est tout et les larmes de Didon pour ceux qui restent on rejoue les mêmes scènes dans les mêmes costumes où l’on se cache les mêmes peurs les mêmes désirs avec les mêmes mots les attentes infinies remaillage sans fin chaîne et trame le monde est compliqué il avance plus vite que nous comment garder l’équilibre ? nous voilà à tenter de combler le puits où tremble notre reflet on répète la grande scène du grand soir mais il n’y a pas grand monde pour applaudir c’est l’or du Rhin que l’on cherche on ne fait que déranger quelques poissons endormis silures moustachus têtards indécis mais sait-on jamais ? le monde est trop grand notre cœur trop petit et nos yeux et nos mains on s’applique à comprendre mais tout nous échappe il reste le bruit la fureur et cette histoire qui ne signifie rien on y croit quand même il faut bien on n’a rien d’autre et un jour la ronde s’arrête 



     phone miracle
    ………………….je t’appelle réponds-moi réponds-moi vite téou téou dis-le moi que je sache en quels jardins sur quel quai devant quels yeux tu te trouves dove sei amore mio ? je veux tout savoir téou téou le cri hululement répandu déversé en vagues dérisoire écho de ce qu’on voudrait maîtriser & si je t’aime prends garde à toi alors téou téou je t’en prie décroche vous êtes sur la messagerie duvotre correspondant n’est pas joignable pour le moment…de tout cela je me fiche je veux juste savoir téou téou si vous désirez modifier votre message tapez 4 le réécouter tapez 5 pour plus d’options… et moi qui suis là glacée errante exilée à relire en vain ces lettere d’amore perdute alors téou téou juste cela & rien de plus c’est promis veuillez renouveler votre appel ultérieurement une absence de concordance des temps intérieurs batterie faible empêche seule la rencontre l’avais-je oublié non bien sûr mais téou ?

     

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    .....et quelques commentaires de...

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     .... Jean-Marc Couvé, février 2010 

    "C'est comme un déhanchement, cela tangue et chaloupe, mine de rien, sautille, entrechats, contre-escartpe, sur un chemin escarpé, à la fois inconnu et familier, sans heurts -mais pas à-coups-, de manière fluide et heurtée, un peu, comme d'un bord l'autre, entre deux virées pédestres, les yeux à mi-chemin entre ciel et terre, tournés aussi vers un regard intérieur, un regard qui s'étonne sans être dupe, qui témoigne sans grands mots, ni nul remède, en choisissant chacun des mots, glissant sur la pointe de chacun, pointe acérée, affûtée, par la magie d'une langue qui tour à tour s'aventure, emprunte à ses voisines, déambule, flâne, une langue toute en nonchalance (tout en étant précise), chargée d'embruns, de voyages, partie de rien, mais loin encore d'être revenue de tout, une langue de baroudeuse, en voyage. 
    La langue de Gaëlle Josse passe le quotidien au peigne fin, n'oublie aucun recoin, aucune ombre, flirte avec le doute ici, et là avec l'ironie, oh, mais sans y toucher !
     
    Un pas, un mot après l'autre -je laisse courir mes doigts sur le bastingage du clavier, ravi, sincèrement emporté, embarqué- j'en redemande, comme un enfant émerveillé devant les prouesses savamment préparées -mais l'enfant le sait-il ?- d'une jongleuse, d'une lanceuse de couteaux, d'une cracheuse de feu ou d'une magicienne qui ne laisserait que le hasard au hasard, sans bluff ni trucage, dévoilant/voilant tout à son public de son art, et gardant pourtant l'essentiel de sa science caché aux yeux des indésirables dans les amples manches de ses mouvements naturels. Ecrire comme une respiration, tant régulière que syncopée..."
     

       ...de Jean Louis Bernard, dans la revue Pages Insulaires

      Cela a commencé par une erreur. Le premier sous-titre -«antienne égarée »- est devenu, par une perversion de mon regard (ou de mon esprit ?) « antenne ». Et, parcourant une première fois le recueil , j’ai vu une superbe libellule bleue volant au-dessus d’un lac de montagne, à la recherche de son antenne perdue. Sans trêve, sans respiration. Car Gaëlle Josse écrit en prose, sans ponctuation (ah si, les seules pauses « imposées » sont les points d’interrogation : elle a compris –ils sont rares, ceux-là- que si quelques choses peut bien faire avancer l’aventure humaine, c’est bien la question sans réponse).
    Mais voyez-vous, et c’est là le premier miracle, cette œuvre respire par elle-même. Amplement. Largement. Et paradoxalement (en apparence), ce débit précipité donne au lecteur tout loisir de s’inventer une lenteur personnelle (le comble de la liberté), de faire de son ressenti un territoire, de voyager bien au-delà de sa condition de lecteur.
     
    Et puis le fond. Lucette Desvignes, dans son excellente préface, parle d’ »un ton un peu lassé », de « désenchantement », de « tonalité désabusée ». Oui sans doute. Un pessimisme de la pensée. Qui me semble cependant donner place, ipso facto, à un optimisme de l’action. Une fois les illusions jetées bas, on a toute licence pour s’occuper du réel tel qu’il est. Donc le constat. Qui n’empêche pas le sourire. Le sourire du chat Chester flottant entre deux rives. Le sourire entendu de ceux qui ont vu passer les millénaires. Nous sommes de passage. Nous sommes en exil. Chacun a ses arrangements et ses dérangements. Alors, carpe diem. E voici le deuxième miracle : cette litanie haletante, loin de nous épuiser, nous apaise mentalement et nous aide à avancer à pas de géants dans l’appréhension du monde, loin de la célébration obscène de la réalité et de l’idéalisation stérile du passé.
     
    Je ne citerai pas d’extraits du livre de Gaëlle Josse. Au lecteur d’y errer, d’y égarer ses certitudes, de sursauter devant tant de clins d’yeux culturels, d’y découvrir (je le souhaite pour lui) de quoi alimenter sa réflexion, se laisser bercer par la houle de cette immense phrase, et aussi (mais oui !) trouver la sérénité. « Danser quand même avec dans les yeux la lueur fragile, un peu folle, des jeunes étoiles », disait Pierre Bettancourt. Nous vivons sur un volcan, Gaëlle (creusé par nous-mêmes, mais peu importe), tu l’as montré  ceux qui l’ignoraient encore. Maintenant, invite-nous à danser.
     

        …de Georges Friedenkraft dans la revue Jointure

    Cet ouvrage exemplaire nous propose un genre poétique trop rarement pratiqué : la prose poétique. En chaque fois dix à vingt lignes, l’auteure sait nous entraîner sur les sentiers de l’insolite, dans des aventures sans ponctuation, où les images se télescopent comme des nébuleuses virtuelles. Qu’on en juge : « en marge toujours l’essentiel s’écrit dans les marges à même la peau à même les mains à l’encre sombre des alluvions… »
     
    Ou encore : « il faut bien être de quelque part pourquoi pas d’ici ? là où les arbres déplient en silences leurs capillaires sur un ciel blanc traversé de corneilles… ». Difficile, on le voit, de faire pluls dense dans la présence au monde, plus compact dans le parcours des coulisses de l’être. Plus sonore que le rythme verbal de ces tambours frappés à mains nues. Une manière particulièrement originale d’écrire, dont on peut souhaiter qu’elle inspire d’autres poètes contemporains. 
     

    ...de François Baillon dans les Cahiers Ventura, décembre 2010

     Lucette Desvignes, dans sa préface, lance : « les rimes sont parfois inspirées et je n’ai rien contre elles, mais si elles ne servent qu’à prouver qu’on a quitté le règne de la prose, malheur à elles ! »
    Mais la magie du recueil de Gaëlle Josse est justement, à sa lecture, de faire s’envoler ce genre de questionnement pour nous laisser goûter à une vraie originalité (et une vraie unité) dans sa forme, ajoutons même modernité, ne délaissant en rien le développement de thèmes fondamentaux, à savoir notre propre condition humaine, l’évocation du chemin parcouru par chacun de nous, le devoir de rétrospection etc...
    La forme, disais-je, est étonnante, dans le sens où peu de ponctuation régit l’ensemble des poèmes – surtout, pas de point ! C’est donc à nous de faire la disposition des groupes de mots dans chacun des textes, et là où est la force de musicalité du recueil, c’est que, bien souvent, cette disposition se fait, mine de rien, de façon naturelle (…) 
     
    A l’intérieur de ces mystérieuses boîtes musicales, Gaëlle Josse nous pousse, sur une tonalité un peu pessimiste, aux interrogations : « allez donc c’est en équilibriste que l’on court sur la ligne de crête adret ubac c’est comme vous voulez mais juste un peu d’amour » (à l’abîme) ; « que veulent nos nombrileux égos ? (…) ainsi nous allons nonchalants & insatiables jamais apaisés » (désirs symphoniques) ; « qu’as-tu fait de ton talent ? c’est la question qui te hante avoue-le » (tout compte fait) ; « d’où nous vient cette nostalgie soudaine d’Ithaque après tant de voyages ? » (à temps ?) ; « en marge toujours l’essentiel s’écrit dans les marges » (marginale) ; « on s’applique à comprendre mais tout nous échappe il reste le bruit la fureur et cette histoire qui ne signifie rien on y croit quand même il faut bien on n’a rien d’autre et un jour la ronde s’arrête » (little big man).
    Par ailleurs, ce qui constitue sans doute une autre des forces (discrète, celle-ci) de ce recueil, ce sont ses références abondantes (mais non pas encombrantes), qui vont de la Toison d’Or et du talon d’Achille à Méduse et au Graal, de Chimène et Rodrigue au lapin d’Alice et j’en passe, sans oublier quelques « arrêts » sur les œuvres de Bach ou de Rembrandt (entre autres)…(…)

     

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