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Homme bleu, ici même, par Philippe Gicquel. Gros textes
"Homme bleu, ici même", Philippe Gicquel. Gros textes.
Paru dans Pages Insulaires 2008
Nomade en ses terres, errant en sa ville, explorateur en ses rues, ainsi avance Philippe Gicquel. Voyageur, guetteur, voyeur, les yeux bien ouverts, les oreilles à l'affût, le nez à tous les vents, curieux de tout, de tous. A peine frou-frou d'ailes égaré dans les temps titanesques, tu boulevardes, traînes, déambules sous les crépuscules, et aux pendules qui te tricotent une absurde biographie, tu opposes le simple fait d'exister (...) nonchalante voile en dérive, bohémien, vagabond de visages...
Des aurores claires aux petites heures de la nuit, la ville, la grande ville, sa ville, accrochée à l'estuaire de la Loire, ouverte à toutes les partances, tous les trafics, se mue en une Babel démesurée et changeante, une nef folle en vagabonde.
Hommes, femmes, marchandises, bribes de destins, fragments d'histoires, morceaux de vies, petites combines, hasardeux bricolages, va-et-vient, trajets, traces, détours, solitudes...Hommes, fragile naissain du cosmos, minuscules nomades perdus dans le plancton... Tout est à voir, à prendre, à vendre, à aimer. Flux, flot, rafale, maelström, nous voilà embarqués.
Et ce grotesque-là, pitoyable et claudiquant bouffon dont on s'apprête à rire, n'est-il pas notre propre reflet, croisé dans un miroir ? Et tous les autres, balourds estropiés bancroches & tout le typhon des dépareillés, fioles-de-haine,faciès-endurcis-de-misère & bobines-de-traîne-vicissitudes....
La très belle préface de Charles Bulting à ce recueil tisse des parentés avec Whitman, Kérouac, Rabelais et Céline. Encombrants anges tutélaires ? Non, cela est bien vu. Pourtant, c'est d'autres compagnonnages qui me viennent à l'esprit, qui me sautent aux yeux plus exactement. Sa Babel tient à la fois d'une bruegelienne kermesse et d'un pandémonium de Jérôme Bosch, effrénée cavalcade de monstres affairés, de gnomes rageurs, de chimères croassantes...Rien d'autre que nous-mêmes et nos semblables.
Que le lecteur prenne son souffle avant d'entrer dans les pages (prose ? poésie ? qu'importe !) de Philippe Gicquel. C'est à une lecture en apnée qu'il s'expose. Il en sortira étrillé, rincé, roulé, essoré, haletant, essoufflé et heureux. L'auteur déploie une langue inventive, colorée, sonore autant que visuelle. Et à tout instant, ça ronronne, ça hurle, glapit, chante, gesticule, vacarme, et, maintes fois, ça chaudronne, casserole, grinche, stridule, couacque et canarde. Le chant du monde ? Davantage sa grande symphonie désaccordée, cacophonique, stridente, palpitante et bancale. Infiniment humaine.
GJ
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