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humeur : mais comment qu'on nous cause !
(Mauvaise) humeur : mais comment qu’on nous cause !
(paru Pages Insulaires 2009)
Il y a des jours comme ça, on s’agace. Pour pas grand-chose peut-être, mais en réfléchissant un peu, on comprend pourquoi. On remarque aussi que derrière ce pas grand chose ou ce petit rien qui nous agace, des considérations plus profondes, plus insidieuses entrent en jeu.
Alors voici: moi qui prend le métro tous les jours depuis -je ne compte plus-, je vois apparaître depuis quelques semaines, sur les vitres et les parois des wagons, des messages imprimés sur des auto-collants bleu clair façon bulle de bande dessinée. Ludiques, festifs et conviviaux donc. « Au signal sonore, je m’éloigne des portes », « préparer ma sortie facilite ma descente » et j’en passe.
Mais est-ce à moi, à vous, à nous, que ce discours s’adresse ? Depuis quand me parle-t-on de la sorte ? J’avoue trouver cela dérangeant. Question de forme, et question de fond. Dans une salle de classe de cours préparatoire, à la limite… « Je ne bouscule pas mes camarades en sortant de la classe » et « je me lave les mains avant d’aller déjeuner ». Histoire de s’approprier gaiement, mine de rien, grâce à l’usage subtil de la première personne, des messages destinés à former le « citoyen » chez l’enfant et de ce fait à faciliter, au bénéfice de tous, la « vie de classe », comme on dit maintenant. Ca, c’est de la pédagogie performante, pour employer un terme de vendeur de voiture ! Admettons. (Au passage, je ne suis pas certaine d’avoir utilisé ce ton avec mes propres enfants).
Mais je n’ai plus six ans, et ce genre de message infantilisant, très peu pour moi. Car c’est à des adultes que l’on s’adresse, les élèves de cours préparatoire errant seuls dans les wagons de métro se faisant rares. On ne s’adresse pas non plus aux touristes étrangers, peu familiers des codes et usages RATPesques. Car c’est en anglais, en espagnol, en italien ou en allemand que nous lirions ceci. Souvenez-vous, dans les trains au Moyen-Age : e pericoloso sporgersi. Pure poésie !
Non, c’est bien à chacun d’entre nous, usagers réguliers ou occasionnels, que cela parle. Préconisation a priori superfétatoire : lorsqu’on se tient à plus d’un mètre des portes, s’extraire du wagon à St Lazare vers 18h30 relève de la douce illusion. De même, vouloir monter à tout prix après le signal sonore ou rester debout entre les portes, ça fait tout simplement très mal. En général, on ne le fait pas deux fois. Il y avait déjà un petit lapin dessiné pour nous dire d’enlever les doigts de la porte, mais compte tenu de son positionnement à 80 cm du plancher, j’ai toujours cru qu’il était destiné aux enfants, enfin aux usagers junior, pour parler correct.
Le message s’adresse alors à tous ceux qui n’ont pas compris cela. Aux abrutis graves, donc. A vous, à nous. Il s’agit vraisemblablement d’une campagne de communication pour faciliter la vie de classe, enfin pour améliorer le trafic, dont nous sommes tous collectivement, bien sûr, responsables. « Me jeter sous les rails ralentit les trains », « attention, mes morceaux de cervelle vont salir le quai», (c’est de mauvais goût, je sais) « mon malaise, c’est rien que pour embêter le monde ». Je peux en trouver d’autres.
Cela me déplaît. Car, au-delà de l’anecdote, ce discours présuppose un certain mépris, ou un mépris certain des individus. On va leur parler débile, car ils sont débiles. Ca s’appelle des messages grand public chez les communicants ( !). Le temps du Y’a bon Banania a vécu, on en rougit encore. Le voilà qui resurgit. Infantiliser signifie déresponsabiliser. Donc obtenir l’inverse du résultat attendu. Cherchez l’erreur !
J’admets volontiers que cela est moins grave que les tremblements de terre, l’esclavage des enfants, la lapidation des femmes adultères ou le sort des populations déplacées. Mais quand même, ce qui est insidieusement, en cause, c’est la dignité. Les mots ne sont pas innocents. On ne parle pas comme ça aux gens. C’est tout.
Gaëlle Josse
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