• Bougé(e), d’Albane Gellé. Editions du Seuil, collection Déplacements. 16 euros.

    Paru dans Pages Insulaires 2009

     

    Le vivant est imprévisible. Parce que vivant, justement. Il bouge, il remue, il dérange, il circule, il se déplace, il tourne, il évolue, il vire, il voltige, il tremble. Et nous avec, parce que vivants, justement. A tenter de suivre le mouvement, de comprendre un peu ce qui se passe dans cette drôle d’aventure de vivre, et d’écouter ce qui advient dans nos vies fragiles et trépidantes.

    C’est tout cela qu’Albane Gellé écrit. Cherchant au plus près à dire au plus juste recevant le monde redonnant le monde. Elle l’écrit dans un petit livre inclassable, ce qui est déjà une qualité en soi par ces temps de grand formatage généralisé, mais pas suffisante pour convaincre, bien sûr. Ni récit ni roman ni essai ni journal, ni recueil poétique, ni auto fiction, ni correspondance et un peu tout cela quand même.

    Albane Gellé vit caméra embarquée, les yeux ouverts, dedans-dehors, en un va-et-vient qui mêle questionnements, colères, regrets, amitiés, engagements, intuitions, joies, relation à l’écriture, enfants, famille, brûlures...

    Carnet de bord, carnet de vol, carnet de route, carnet de vie, des textes brefs, entre les pages desquels se glissent des poèmes, des lettres. Celles qu’on a oublié d’envoyer par exemple. La mort du père, fondatrice dans la douleur, l’acte d’écrire, d’animer ces étranges moments que sont les ateliers d’écriture, une séparation, les moments de grâce de tous les jours, la révolte contre le cynisme du politique…Je continue à faire prier l’intensité.

    Albane Gellé nous offre son rapport au monde. Sa façon de bouger. D’être bougé(e). Parce qu’on n’a pas vraiment le choix, tout compte fait. Sinon t’es mort, comme disent les enfants à la récré. Elle a préféré rester vivante. Ni très forte sûre de tout ni anéantie de désespoir existentiel, juste vivante. La pensée, les ressentis, tout cela court vite, très vite, il y a bousculade et télescopages, et les mots n’ont qu’à à suivre le tempo. Il y a urgence à dire et on ne va pas s’encombrer de sous-titres. Sa prose galope, bondit, s’envole, s’allège du superflu. Pulvérisée, explosée, concassée, déchiquetée. Magnifique.

    « Je suis pauvre et dérisoire petite et minuscule quelle insolence d’écrire encore et pourtant minuscule je me sens être de cette forêt, plantée là dans les mots à traduire le monde ».Entendre le bruit du monde se joindre à sa partition à elle. « Je quelque chose vers la vie, vers ce qui ouvre ce qui fluide, remue pour invente, avance pour libérer, vers ce qui sourire et même rires, tolérances doutes aussi : des questionnements des questionnements ».

    Les certitudes sont arrêts sur image et mortifères ô combien. Pas question pour autant de s’agiter, de gesticuler pour oublier, pour s’oublier, cela n’a pas de sens. Juste bouger. Se sentir vivre, agir, ré-agir, partager, aimer, crier. « Je vous écris de la vie que je mène, tremblée sourire et caetera, dans le souvenir et l’attente de toutes les autres. (…)Je vous écris de toutes mes forces ». Bien reçu(e), Albane.


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