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Par gaellejosse le 18 Janvier 2010 à 11:25
Poésie et Philo : "Réduction en cristaux" ou explications de montage ?
Paru dans Pages Insulaires 2009
Le monde nous interpelle. Il nous interroge (toujours), nous révolte (souvent), nous séduit (parfois), nous attriste, nous réjouit, et bien plus que cela encore. Bref, il nous bouscule, et il n’est pas de jour (ou presque) où nous n’en cherchons les clés.
Compliqué, tout ça, et de plus en plus, semble-t-il. Poésie et philosophie apportent-elles des réponses à la marche de l’univers et à celle de nos vies? Des tentatives d’explication tout au mieux, des grilles de lecture peut-être, ou une simple expression de ressentis, de perceptions fugaces, insaisissables.
Comprendre le monde, dire le monde. Faut-il choisir son camp ? Conclure à l’irréconciliable ? Pas nécessairement : on voudrait bien sortir de la pensée binaire, éviter de se montrer réducteur, simpliste, manichéen, et parvenir à cette belle réconciliation rêvée du cœur et de l’esprit, éviter le vain combat Kant contre Michaux et Heidegger contre Saint John Perse, la dichotomie réflexion/émotion, et pourtant….
J’ai fait le tour de ma bibliothèque avant de commencer à écrire cet article. Soyons honnête : le coin philo, c’est vite vu. Plus de trous que de gruyère. Un peu de Sénèque, Marc Aurèle, Nietzsche, Barthes, Sartre, Jung, Freud, Diderot, Bachelard, Jankélévitch, Lao Tseu, Camus, ajoutons-y une poignée de souvenirs et de citations éparses en mémoire. Les faits sont têtus : pas de quoi monter une boutique. Il y a sûrement des raisons à cela.
La question que je me pose alors est celle-ci : comment la parole, poétique ou philosophique, me touche-t-elle ?
Il y a l’esprit d’analyse et l’esprit de synthèse, on le sait, le décorticage, montage/démontage avec déduction/conclusion, l’étalage des pièces détachées, la sacro-sainte méthode, la vision « par le haut », et la perception immédiate, fulgurante et irrationnelle, l’intuition, la force de l’image (sans considération esthétique de beau/pas beau, on s’en fiche), bref le chemin le plus court vers l’essentiel, cette « réduction en cristaux », comme nomme joliment Charles Dantzig la poésie dans son remarquable « dictionnaire égoïste de la littérature française » (lecture très recommandée au passage, en livre de poche, 10 euros pour 1142 pages d’intelligence, d’humour, et de réjouissants partis-pris).
Philosophie et poésie se seront reconnues dans ces (très libres) approches. La parole me touche donc émotionnellement -ce qui ne dispense pas de s’interroger un peu-, ou intellectuellement. Et alors ?
Prise de conscience intime
J’ai tendance à penser que ce qui n’a pas été éprouvé, ressenti de façon intime n’est que joyeux sifflotage dans un violon. On peut avoir ingurgité tout Lacan en version originale sans pour autant avoir réussi à démêler tous les embrouillaminis d’un inconscient aux abois. Il n’est pas inutile bien sûr de se munir de quelques notions pour la route, pas question de jouer le tout-émotion contre le tout-cérébral.
La philosophie constitue tout de même une intéressante boîte à outils. C’est parfois bien utile de mettre un nom sur les choses, de ramener un peu d’ordre dans sa propre pensée, de dépasser les approches émotionnelles et fragmentaires en confrontant les points de vue et en élargissant sa réflexion. Mais c’est comme tout, la boîte à outils n’est utile que si on s’en sert !
Quant à la poésie, si elle n’est que plaisir d’assembler des mots comme on collectionne des timbres ou des coquillages, ce n’est certes pas un crime, mais c’est d’un intérêt un peu limité à mon avis.
Je crois à l’élément déclencheur, à la prise de conscience intime des choses. Ainsi Nietzsche, qui m’intéresse déjà par ses écrits, me touche, me bouleverse, le jour où il se jette en larmes à la tête d’un cheval de fiacre maltraité, signant là d’ailleurs son bulletin d’internement. Parce que fragile, humain, trop humain. Il ne s’agit pas d’un épisode anecdotique de vie privée, mais d’une humanité profondément ressentie. Eprouvée.
Il en va de même lorsque ses disciples demandent à Socrate, à la veille de boire la ciguë, pourquoi il se commence à jouer de la lyre, et qu’il répond « pour apprendre à jouer de la lyre avant de mourir ».
Loin de moi l’idée de réduire une pensée à la vie de son auteur et à quelques récits pittoresques. La philosophie m’intéresse lorsque le général rencontre le particulier, c’est à dire la vie, la personne, l’être humain, vous, moi. Autant dire que la métaphysique me laisse de marbre.
La poésie quant à elle m’interpelle lorsqu’elle va au-delà d’une simple jouissance esthétique, et qu’elle entre en résonance avec l’universel, en suscitant une interrogation, en précisant une intuition, en proposant une image, et plus largement un imaginaire, un univers qui fait sens pour moi, en offrant une énergie, une pulsion. Il me semble d’ailleurs que cela vaut pour l’art en général, musique ou arts plastiques, mais c’est un autre débat.
Mais je ne serais pas sincère dans cette chronique si ne faisais cet aveu : les livres de philosophie ont une fâcheuse et répétitive tendance…à me tomber des mains s’ils ne sont aussi œuvres d’écrivains. Longueur des phrases, absence de respiration, constructions labyrinthiques et dédaléennes, mots interminables définitivement scellés dans leur mystère, et me voilà dissuadée de poursuivre. Ce n’est pas glorieux, j’en conviens, mais c’est ainsi.
Que m’auront apporté, en définitive, philosophie et poésie ? C’est peut-être dans la réponse à cette question que se réalise, en définitive le partage des eaux. Ou leur réconciliation.
Ce qui m’importe, c’est de trouver un écho, une réponse à un « besoin d’humanité ». Une fraternité d’être.
De rencontrer la certitude, à un moment donné, d’être reliée à l’Autre, dans ses épreuves et ses éblouissements. C’est davantage en terres de poésie que j’ai trouvé cela, il me faut le reconnaître.
Alors c’est naturellement à un poète que je donnerai la parole en dernier lieu, avec, par exemple, ce mot rencontré récemment chez Guy Allix : « Tu retiens l’impossible dans la paume du rêve ». Comment mieux exprimer tout ce qui donne son intensité et sa (dé)raison d’être à nos vies, fragiles, imparfaites et uniques ?
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