• PARU DANS

    PARU DANS LA REVUE "MULTIPLES" de NOVEMBRE 2010

    VOIX (extraits)

    DANS SES ECLATS, DISPERSEE...

     

    J’ai entendu quelque chose quoi donc ? C’est de l’ordre du  je-ne-sais-quoi  du  presque-rien 
    léger le souffle ce qui parle est proche et hors d’atteinte limpide et secret vivant courant d’air
    Il s’est passé quelque chose soustrait au flux de l’in-signifiant quelque chose qui affleure à la surface
    fragment arraché au torrent des jours
    à la noyade & nos infortunes de mer

    La voix l’invisible esquisse d’une présence ces voix entr’entendues offrande furtive d’une rencontre intersections
    J’écoute je projetée à la confluence de l’inconnu de l’innommé Des pensées des songes passent s’attardent & glissent des souvenirs insistent consonances dissonances chant contre-chant oh parle-moi

    La voix celle qui nous trouble dans sa nudité celle qui nous trahit la voix la voie –la vox la via-
    Une lettre en aile d’oiseau pousse l’air à la rencontre du monde dans l’expir parvient aux lèvres

    Une voix poursuit sa parole elle creuse cherche à déterrer ce qui l’empêche de vivre enfoui enseveli sous le poids des jours c’est un morceau de son histoire la pièce manquante essentielle et manquante
    En remontant les galeries de la mémoire les mots cherchent à s’extraire de l’obscurité collisions voix convoquées appels Théâtre d’ombres
    Parvenus à la surface ces trophées amers se réduisent en cendres incendiés de lumière
    Il y a du silence dans le flux de cette parole du silence et des larmes aussi celle qui parle entend sa propre voix errer dans l’attente du surgissement libératoire
    L’homme qui écoute se tait la laisse déchiffrer son chemin aménager des refuges affronter la peur nausée envie de fuir
    Lui miroir destiné dans l’oubli à un fracassement symbolique
    Celle qui parle est ensemble Ariane et Minotaure proie et chasseur dans le labyrinthe renvoyée à sa voix sa voix errante gorgée d’indicible ponctuée de suspensions étranglements
    La voix marche dans sa nuit désarmée s’arrête hésite repart incertaine en route toujours en route

    Voix hivernales feu et vent primavera féerie attendue effleurements naissances Je suis l’air et l’arbre & le chant je danse

    Vivre au creux de sa voix sous sa voix dans sa voix à l’ombre de sa voix abri refuge & providence la grâce d’un abandon devenu possible délivrance de ce qui encombre alourdit rêve d’apesanteur
    Une voix qui détourne le cours des angoisses celles de tous les jours de toute la vie soudain il y a trêve au large des oiseaux noirs se dispersent


    Ecrire éveiller découvrir sa voix extraction ex-cavation forage rencontre
    libérer le gisement enclos dans nos mers fermées
    le remonter à la surface lui donner forme reproduire cette note entendue en songe
    Je sage-femme & parturiente de ma voix partition parturition la page blanche page vierge comme l’air qui accueille le chant à venir Ecrire le saisissement
    Inlassable désir de la note juste assemblage des jours et des rêves


    Le grand air de la Reine de la nuit dans la Flûte enchantée la voix rompt son enveloppe charnelle repousse les limites de l’espace sonore
    Une incision dans le silence elle investit des sphères insoupçonnées lointaines minérales


    Une voix d’outre-tombe voix sépulcrale
    Au-delà du passage les défunts pourraient encore s’adresser aux vivants ? Leur voix est d’ombre s’y étirent de longs échos elle porte en elle le souvenir des étendues obscures & et ce qu’ils ont vu sur l’autre rive

    Le cri des mouettes loin dans les terres elle disent la mer Au-dessus des labours un rêve d’océan

    Voix mystiques voix sacrées dans les lignes souples et pleines du grégorien
    Sous la voûte simplicité des voix qui disent leur foi ferveur gravité
    l’énigme croire ne pas croire
    Une étrange envie celle d’être cette voix d’être cette énergie terrienne et lumineuse ensemble compacte légère


    Mantras incantations psalmodies voix magiques voix rituelles
    obsédante scansion des paroles obscures récitées au-dessus du feu la transe du chaman Qui parle par sa bouche ?


    Le grain de la voix le grain de la peau et nous tellement nus dépouillés
    démunis oh si démunis


    Un nocturne de Chopin le chant le souffle cantabile Maria Malibran son ombre dans le parc entre les grands cèdres bleus à Nohant


    Placer sa voix ré-ajuster sa voix l’installer dans notre corps à sa juste hauteur sur une échelle sonore intime la mettre en lieu sûr


    J’en suis restée sans voix soudain le surgissement d’un événement nous prive de voix nous voilà a-phasiques a-phones mutiques sans voix sans mots
    soudain la possibilité de dire disparaît arrêtée net retenue au fond de la gorge stupeur hébétude
    nous sommes muets interdits
    Interdits de langage dépossédés trop d’émotion rien ne sort ou voix blanche voix faussée bégaiement est-ce encore la nôtre ?
    Trop d’émotion la voix enfle se déforme s’échappe rage colère emportement trop de douleur un gémissement un cri et dans le plaisir un gémissement encore un cri Très loin en nous quelque chose a cédé


    Voix de violoncelle voix de plein jour il parle peu sa voix grave comme une suite de Bach

    Dans le cours de sa vie des voyages des livres des abandons de grandes peines des mystères
    Son histoire dans sa voix

    Sa voix pour dire celle des autres pour seule boussole
    Yeux ouverts sur une nuit sans aurore Leçons de ténèbres

    Déchirant la toile du Caravage le rugissement de terreur d’Holopherne sous le glaive de Judith si belle farouche violente

    La voix de l’Autre entendue –attendue- comme une caresse Dans sa vibration nous re-naissons

    Elle s’adresse à son dieu en très secret chuchotage demande-t-elle plus de courage plus d’amour dans une vie trébuchante plus de courage pour tous les jours pour faire face toujours faire face malgré le vent ?


    La voix d’Orphée & l’ombre d’Eurydice évanouie à jamais ce que nous cherchons sans fin irréconciliés


    Murmurer chuchoter susurrer dans la redondance syllabique les mots accueillent le secret la confidence la parole intime partagée seules les consonnes affleurent le reste réfugié dans le creux des voyelles

    Son rire cascade ascendante son rire qui imite le rire Rire idéal rire-étalon à tout instant jaillissant pour rien elle rit c’est un éclat un fragment de rire bref gai brutal
    une explosion survenance inattendue incompréhensible elle rit pour le plaisir
    Sa voix dans le plaisir ?

    Le cri les dents la bouche dans la peinture de Francis Bacon

    Lire relire quelques livres les mêmes toujours une voix un phrasé guetter un son juste comme on réassure sa propre voix avec un diapason
    frôler quelque chose de parfait en une musique aimée J’ai tendu des fils d’or d’étoile à étoile, et je danse reposer le livre ses harmoniques en une longue résonance dans les plus secrets de nos lieux


    Au-dessus du bruissement des soies les chuchotis à l’abri des fontaines dans les fêtes galantes de Watteau la chair vive sous les rubans

    Je parle j’accepte de me rendre transparente de me dé-voiler je suis nue La voix parle réminiscences stigmates cicatrices caresses corps à corps épidermique viscéral
    Dans la voix entendre la vie celle qui fuit comme l’ombre entre les lettres effacées sur le cadran solaire
    Instants ténus devinés esquisses instants nous destinataires dépositaires ils dessineront à la fin de la traversée ce que nous sommes peut-être reconnaîtrons-nous alors le visage qui apparaîtra ?

    *

    MULTIPLES : Henri Heurtebise, 9, chemin du Lançon. 34 410 Longages

    Abonnement : 1 an, 3 numéros, 36 euros.


     


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