• Paru dans TRACTION BRABANT fev 2010

    projection(s) privée(s)

     

    fils croisés

    avec une attention de dentellière à croiser les fils penchée sur son carreau c'est comme ça qu'il faudrait s'y prendre avec les gens c'est ce que je me dis quand je vais voir ce tableau pour le silence qu'il y a autour en arrivant juste à l'ouverture il n'y a pas trop de grouillants zélés japonais portables dégainés 8 millions de pixels pour les photos vous vous rendez compte de ce qu'on fait aujourd'hui attention vous allez l’étouffer déranger sa coiffure renverser sa boîte à couture emmêler ses fils ne la touchez pas –il y a des jours comme ça où on n’est pas d’humeur mais alors pas du tout- je comprend qu'on vole des tableaux -oh une nuit avec elle doux rêve folie folie- & la ramener sage au matin mais grand risque de garde à vue océan de casquettes bleues et mauvaise ambiance assurée j’hésite un peu

     (sur la Dentellière de Veermer au Louvre)

     

    fantastique chevauchée

    galopant essoufflée épuisée -oh oui épuisée- et courant encore tant que vivante talonnée par on ne sait quoi mais si le temps bien sûr et le diable/ses frères à mes trousses subite accélération pas question de traîner en route nous n’irons plus au bois la vie sérieuse attend la chambre à ranger et le dîner à préparer ces deux poivrons qui attendent la queue en l’air près de l’évier il va falloir leur faire un sort & ça me fatigue rien que d’y penser j’ai attaqué Guerre et Paix 894 pages je voudrais tellement savoir ce qui va arriver à Pierre Bézoukhov et à Natacha trop belle dans ses soies et si le prince Bolkonski reviendra de la guerre encore quelques verstes à parcourir et trois feux rouges -jamais au vert allez savoir pourquoi- couper le contact et le sweet homequi attend

     (en lisant Guerre et Paix)

     

    just before

    tout le monde est couché le lave vaisselle tourne gentiment doux bruit ronron maison c'est la bonne heure pour le piano dolcissimoaccords posés au creux des touches chercher tâtonnant ce lied de Schubert celui du meunier en confidences avec le ruisseau et sur le point de s’y jeter ô tentation de la petite chambre de cristal bonheur sous-marin un si grand désespoir pour de jolis yeux infidèles si doux si gais si traîtres –en valait-elle la peine sûrement pas mais- à la vingt troisième mesure bizarre d’un coup ça pique à la gorge cet air-là ne pas le jouer trop souvent ça finirait par être mauvais pour le cœur

     (sur la Belle meunière de Schubert)

     

     

    reconquista

    c'était un départ en fanfare une aube glorieuse hérauts trompettes chevaux caparaçonnés armes damasquinées et parade -rien pour la peur !- la route était longue les pluies sont arrivées et puis trop de soleil & tout ce vent les rires ont fini par s'éteindre délavés les chevaux blancs de sueur la folie dans les yeux et sous les armures couvertes de poussière le vertige mais on ne revient pas en arrière au soir halte loin des villages apeurés & les hommes qui parlent en hommes pour tenir en respect la fatigue et tout ce qui rôde puis sur le radeau les rats et son infante morte dans les bras beaux jupons déchirés et nous pauvres conquistadores de nos vies qu'en avons nous fait ? c'était un départ en fanfare qu'en reste-t-il ?

     (sur le film Aguirre la colère de Dieu)

     

    normales saisonnières

    le médecin m’a rassurée m’a dit c’est normal de flotter un peu entre deux saisons cela arrive à tout le monde un jour ou l’autre il y a des médicaments très efficaces pour ça et puis vous en faites un peu trop aussi les journées n’ont que 24 heures vous savez j’ai dit merci je sais je vais essayer de retrouver un courant porteur une brise/un zéphyr/un alcyon/un alizé/autre chose mais il faut que je vérifie que cela n’arrive qu’aux changements de saisons en sortant passée pressée à la librairie acheté des bouquins même pas remboursés sécu & attention aux effets secondaires indésirables des histoires hauturières pour traverser les nuits clignotantes indécises yeux ouverts Amok et le bateau et le remords et Mary Stuart reine d’Ecosse droite devant la hache en cette tour de Londres décorée de corbeaux gardé l’ordonnance en marque-pages

     (en lisant Stefan Zweig)

     


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